Hackers, pirates, cyberpunks : la résistance du web



Quand on dit grand acteur du web, on pense à Google, Microsoft, Apple, ces grandes multinationales qui façonnent presque à elles seules tout l'espace numérique. Mais c'est sans compter sur une autre partie, plus sous-terraine, mais bien réelle : les hackers, pirates et cyberpunks.





L'avènement des nouvelles technologies dans les années 1970, la démocratisation du micro-ordinateur, l'accès à une information toujours plus large, ont permis l'émergence d'une autre culture de masse. Cet essor a engendré l'accès à de nouveaux savoirs, à une pluralité d'informations. Cependant la quasi-totalité de la toile étant gérée par quelques multinationales surpuissantes, il existe une frange qui se détache de cette information, la considérant comme tronquée. Cette faction revendique ainsi un véritable monde numérique, sans aucune frontière. Fonctionnant avec ses propres codes, ces personnes ont décidé d'œuvrer en faveur de la vérité, de l'information, usant parfois de moyens controversés. Hackerscyberpunkspirates, la résistance du web est arrivée il y a maintenant une vingtaine d'années et n'a cessé de s'imposer.
Ou comment des personnes alors insignifiantes, bousculent les codes de la toile et se sont imposées en quelques années comme des acteurs à part entière du web.

Qu'est ce qu'un hacker?



Hacker : nom masculin 
(de l'anglais to hack into, entrer par effraction)
Personne qui, par jeu, goût du défi ou souci de notoriété, cherche à contourner les protections d'un logiciel, à s'introduire frauduleusement dans un système ou un réseau informatique. (Recommandation officielle : fouineur.)



Voici la définition qu'on peut trouver dans le Larousse édition 2009. 
Un hacker serait donc selon le dictionnaire un fouineur. Une personne peu scrupuleuse dont le but est de s'introduire par effraction dans un système informatique, qui sait, peut-être même le votre!
Cette définition reflète particulièrement bien l'amalgame fait aujourd'hui entre les hackers, les cybercriminels et les pirates informatiques.
Dans sa signification relayée par les mass médias auprès du grand public, le terme fait surtout référence aux "black hats" ou chapeaux noirs.
Ce sont des hackers qui pénètrent par effraction dans des systèmes ou des réseaux avec un objectif personnel, souvent un gain financier.
Aux antipodes se trouvent les "white hats", chapeaux blancs: ils pénètrent par effraction dans des systèmes ou des réseaux dans l'objectif d'aider les propriétaires du système à mieux le sécuriser. Mais ces deux définitions restent assez simplistes.




Le Hacker Space Festival 2009

A l'origine, hacker est un mot anglais signifiant bidouilleur, bricoleur. Il est aussi utilisé pour désigner des programmeurs doués en informatique. Mais par extension ce mot caractérise les personnes capables de transformer, détourner une technologie, un objet ou un programme pour lui faire faire autre chose que ce qui était initialement prévu. Le hacker se caractérise donc essentiellement par le détournement d'objet.
Il va utiliser toutes les nouvelles technologies dont il dispose afin d'explorer les confins de la machine, le plus souvent son ordinateur, qui va ensuite devenir son outil de travail une fois la phase exploratoire achevée.


Aux origines du hacker : le phreaker



Mais retraçons brièvement les origines de ce personnage du web. Le phreaker est au hacker ce que le vinyle est au CD : son ancêtre. Le phreaker désigne celui qui piratait les lignes téléphoniques. Ce mouvement émerge dans les années 1960 aux Etats-Unis.
Et ce que l'on considère aujourd'hui comme le premier cas de hacking est en fait du phreaking. Il reste particulièrement révélateur de l'impact que peut avoir un objet détourné.


John Draper (DR)

C'est John Draper, mieux connu sous le nom de Cap'n Crunch qui vient des céréales Captain Crunch, qui a laissé son nom dans l'histoire du hacking et du phreaking. Dans sa boîte de céréales John Draper va découvrir que le simple sifflet cadeau destiné aux enfants reproduit la tonalité des lignes de téléphone de la compagnie Bell pour les appels longues distances.
Il s'en servira pour passer des appels gratuitement.
Un article publié en 1971 va révéler au grand public le phreaking. Cette pratique va alors prendre une tournure tout autre, jusqu'à son extinction, les autorités étant désormais avisées, elles vont mettre en place des mesures répressives. 
John Draper sera démasqué en 1976 et condamné à deux mois d'emprisonnement. Mais le cas reste intéressant puisque pour la première fois les autorités se sont trouvées face à un homme dont l'arme n'était qu'un jouet pour enfant.
Il faut surtout s'attarder sur l'évolution du micro-ordinateurs pour comprendre l'émergence des hackers.
Avant l’existence d'outils peu encombrants et simples, seuls les membres d’institutions de recherche universitaire et militaire avaient accès aux réseaux informatiques via les super-ordinateurs.


Les premiers micro-ordinateurs en 1975 (Sipa)

Mais l'apparition de micro-ordinateurs destinés aux particuliers va changer la donne. Les réseaux, et donc les informations, deviennent dès lors accessibles à un nombre plus grand d'individus, qui proviennent le plus souvent du milieu universitaire. Ils vont alors utiliser ce canal pour échanger leurs connaissances et les résultats de leurs recherches. On entre dans une quête de nouveau savoir et de propagation, élément central à la culture universitaire qui se retrouve aussi au cœur de la culture hacker.
L'avènement du numérique, des nouvelles technologies va accélérer les cas de hackages. Toujours plus célèbres et plus impressionnants. Certains souhaitant simplement passer à la postérité d'autres ayant une finalité engagée voire politique. Souvent on est dans une dénonciation du secret d'Etat, d'une main-mise de quelques uns, riches et puissants, sur l'ensemble des gens.


Le hacker, un cyberpunk?



Cette dénonciation du pouvoir ressemble étrangement à un personnage de la science-fictionle cyberpunk. 
A l'inverse du hacker, ce n'est pas une personne réelle. C'est originellement un personnage d'un sous genre de la science-fiction apparu dans les années 1980.
Il est une figure emblématique de toute une génération, en quête du savoir, avide de rétablir une certaine justice. En ce sens le hacker est souvent assimilé au cyberpunk. 


Neo, dans "Matrix",
illustration du cyberpunk (Sipa)

Si on ne devait parler que d'une personne pour représenter le cyberpunk, qui serait compréhensible d'un large public on citerait Neo. Ce personnage de "Matrix" incarné par Keanu Reeves est une des meilleures expressions cinématographiques de cette mythologie.
Dans un futur proche (si proche que l'on pourrait presque s'y projeter), la société est désormais régie par les machines et l'univers se partage en deux : les puissants, peu nombreux, qui asservissent l'humanité, toujours plus pauvre et plus soumise. Dans ce monde envahi par les nouvelles technologies, un jeune informaticien est en quête d'une vérité : qu'est ce que la matrice? Il va alors découvrir qu'il vit dans un monde complètement irréel et n'aura cesse de vouloir rendre la liberté aux opprimés. Ce film représente le combat typique du cyberpunk.



Origine du cyberpunk



Le genre cyberpunk, apparu dans les années 1980, a complètement rompu avec les schémas traditionnels de la science-fiction. Habituellement placée dans des perspectives lointaines dans le temps comme l'espace, le lecteur s'identifie difficilement à la science-fiction de l'époque.
En revanche le courant cyberpunk se veut réaliste. L'action se situe toujours dans un futur proche et sur Terre. Les personnages sont dans un univers désorganisé, régi par des corporations de plus en plus puissantes. Le héros se retrouve alors dans une zone d'incertitude et fait son possible pour se débrouiller, survivre et rétablir une vérité qu'il se doit de répandre.
En ce sens le cyberpunk, certes dans un univers noir et pessimiste, est finalement un personnage optimiste par sa volonté de faire changer les choses. Il n'est pas dans l'acceptation d'un ordre établi. C'est en quelque sorte le super héros des temps modernes.
Politiquement on pourrait classer le cyberpunk dans le courant anarchiste, à l'image de certains hackers. Notamment en raison de son opposition à l'organisation des pouvoirs généralement répartis entre quelques corporations qui usent de pratiques amorales au détriment de l'ensemble des citoyens. Le cyberpunk va dénoncer et combattre cette main mise.


Le néologisme cyberpunk



Le néologisme cyberpunk contient deux racines. La première est grecque : cyber, qui vient du grec kubérnètès , signifiant l'art de gouverner, de diriger. Le choix de cyber, au-delà de sa racine grecque fait également allusion à l'espace cybernétique, science étudiant les mécanismes de contrôle et de communication chez les machines mais aussi chez les êtres vivants. La deuxième racine est anglaise : punk, tout simplement issu du mouvement éponyme, caractérisé par une jeunesse décadente (du moins pour l'époque) et dont le célèbre leitmotiv « No future » a fait le tour du monde.
Le cyberpunk serait donc une sorte de voyou de l'espace cybernétique.


William Gibson, Neuromancer (Sipa et DR)

Quant à la popularisation du terme il faut remonter trente ans en arrière.
Le mot en lui-même est apparu pour la première fois comme titre d'une nouvelle de Bruce Bethke écrite en 1980 et éditée en novembre 1983 dans Amazing Science Fiction Stories. Mais c'est le critique Gardner Dozois du Washington Post qui vulgarisera le terme en 1984 dans un article. 
Il va l'utiliser pour qualifier le style de l'oeuvre d'un certain William Gibson : "Neuromancien".


L'insurrection numérique?



Le hacker s'inscrit donc dans cette lutte philosophique voire politique aux moyens d'outils légaux mais aussi illégaux.
Un des exemples marquant à ce jour reste celui des Anonymous. Groupe de web-activistes, aux méthodes parfois contestées, sans pour autant tomber dans l'illégalité, ils militent pour la totale liberté d'expression sur internet. 



Manifestation des Anonymous contre
l'Eglise de scientologie en 2008 (Sipa)

A l'origine des Anonymous, on trouve des forums, totalement anonymisés, où toutes les discussions, quelles qu'elles soient, ont droit de cité. Ces forums ont été au cœur des plus vives polémiques, car aux côtés d'internautes en lutte pour l'accès libre et sans limite à l'information, se trouvent des réseaux pédophiles, racistes…
Cependant il semble que ces forums restent minoritaires et que les Anonymous bataillent fermement pour évincer ces groupuscules des plates-formes.
Mais c'est en 2008 qu'ils se sont fait connaître du grand public en partant en guerre contre l'Eglise de scientologie. Certes anonymes mais particulièrement bien organisés, ils ont réussi à mettre en place des dizaines de manifestations simultanées regroupant plusieurs centaines de personnes, dans le monde entier. Vêtus de masque ils défilaient généralement devant les établissements scientologues. Ils ont également réussi à pirater de nombreux sites de la secte en usant du savoir-faire de leurs membres, hackers pour la plupart.
Plus récemment les Anonymous ont mis en place avec les membres de The pirate bay "Anonymous Iran", un mouvement d'opposition au régime iranien après la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. 


Les pirates




Le Jihad d'Hakim Bey

Le pirate en informatique est une personne commettant des délits ou des crimes dont l'objet ou l'arme est lié à l'informatique. Mais il faut aussi y voir l'origine des mots grecs peirâtes, lui même dérivé du verbe peiraô signifiant "s'efforcer de", "essayer de", "tenter sa chance à l'aventure" et du latin pirata : celui qui tente la fortune, qui entreprend. 
Il ne faut donc pas forcément voir les pirates informatiques comme des pirates mercenaires et pilleurs, mais comme des personnes qui ont un objectif, en général le partage de fichiers libres, l'accès à la culture pour tous et qui mettent en oeuvre tous les moyens pour atteindre leurs objectifs. Qu'ils soient légaux ou illégaux.



C'est dans ce cadre là que vont s'inscrire les membres de The pirate bay (TPB).
Aujourd'hui collectif de pirates auto-proclamés le plus connu, ils ont régulièrement défrayé l'actualité.
Plus gros sites permettant l'échange de fichiers torrents, cette plateforme, lancée le 21 novembre 2003, est basée en Suède.
TPB est régulièrement au coeur de l'actualité car il représente aujourd'hui la résistance active contre les grosses compagnies, les majors et prône une réforme des droits d'auteurs.
Il se revendique comme plus grand référenceur au monde de fichiers torrent. C'est à dire de fichiers à télécharger, gratuitement, de films et de musique le plus souvent. Mais la plupart du temps ces fichiers étant des copies illégales, ces pratiques, interdites dans plusieurs pays, restent mal vues. Mais la nature des fichiers rend difficile la détermination d'un acte illégal ou non.



Mais le pirate par excellence qui a initié un courant et influencé toute la culture underground est le mythique Hakim Bey.
Hakim Bey, Mr le juge en turc, de son vrai nom Peter Lamborn Wilson est un essayiste, écrivain américain, né en 1945. Fuyant aujourd'hui les médias, les outils informatiques (il refuse d'avoir un accès internet) il est à l'origine des Zones d'autonomie temporaire(TAZ).

C'est d'ailleurs avec ce livre éponyme qu'il va entrer dans la légende. Hakim Bey ne prétend pas avoir inventé les TAZ, mais simplement avoir mis un nom sur quelque chose qui existait déjà.
Aujourd'hui on estime que son oeuvre a influencé tout un courant de la cyberculture, mais aussi du milieu underground. Pape des rave party, des anarchistes, des insurgés contre l'ordre établi, il fait figure de référence dans tout un milieu.


Et la finalité dans tout ça?



L'objectif du hacker n'est pas en premier lieu l'illégalité même si la barrière est vite franchie. Il s'agirait plus de dépasser les limites, que ce soient celles imposées par la société ou celles que l'on se pose soi-même pour diverses raisons.
La communauté du hacker va se définir en grande partie par sa consommation massive de technologies informatiques et de télécommunications. Dans ce domaine il aime particulièrement tout ce qui concerne la téléphonie mobile, le GSM, qu'il aime à pirater afin de jouir de moyens de communications sans entrave.
Mais la question que l'on se pose tous finalement et que l'on a envie de poser aux hackers : « Pourquoi faites vous tout ça? ».
La réponse type : "Because we can" ("Parce qu'on peut"). Certains expliqueront à titre de comparaison qu'on ne se demande jamais pourquoi est ce qu'un musicien a une passion pour la musique. C'est juste qu'il aime ça.
Mais au-delà de voir jusqu'où l'on est capable d'aller, de détourner un objet, il y a derrière cela un objectif philosophique, engagé, voire politique.
Ainsi que l'explique Philippe Langlois, du Tmp/Lab, organisateur du premier Hacker space festival en France, le hacker a une responsabilité : redonner ce qu'il a pris, appris (connaissances, cultures, savoirs) à un moment donné. C'est une culture du partage, "une société civile au niveau informatique".
Les hackers ont cette responsabilité de "ne pas laisser que du foin", et l'impact est "monstrueux" quand les hackers se regroupent entre eux.
Plusieurs "hacker space" existent. Un France on a même une Hackademy pour apprendre comment devenir un hacker.
Mais aujourd'hui la référence reste le Chaos computer club, organisation la plus influente d'Europe de hackers, allemande.


Des participants des conférences des Black hat
et de la Defcon à Las Vegas,
vus à travers le logo des Black hat (Sipa)

Autre rassemblement, cette fois-ci mondial et référence dans le domaine de l'hacktivisme: la defcon. Pour résumer ce qu'est la defcon, on pourrait reprendre les termes d'un de ses participants " La defcon tient de la convention Star Trek et d'un concert des Sex pistols"...
Ainsi les hackers se rassemblent volontiers, dans le but de partager leurs idées mais aussi de mieux atteindre leurs objectifs. Conscients que ce n'est pas en restant centrés sur soi qu'ils avanceront, ils sont très souvent partisans de l'action collective.



 Quel avenir pour hackers et pirates?



Récemment, The pirate bay a été une fois de plus au coeur de l'actualité mais pour son rachat cette fois-ci. Un géant suédois aurait proposé de racheté la plate-forme pour 5,5 millions d'euros, mais à condition de n'avoir plus que des activités légales. Affaire à suivre.
Néanmoins, aujourd'hui ils sont de plus en plus présents dans la société civile et commencent à être reconnus.


Christian Engstrom du Parti pirate en Suède (Sipa)

A titre d'exemple l'entrée de Christian Engstrom du Parti des pirates, suédois ( ça ne vous rappelle rien?), au Parlement européen.
Pourtant de plus en plus de lois apparaissent autour de l'espace numérique et d'internet.
Mais l'évolution des hackers semble paradoxalement facilitée par les lois restrictives. Même si cela n'a pas toujours été le cas.
Les lois préventives et répressives ont désormais tendance à encourager les hackers à accélérer leurs recherches pour contourner les barrières. Benjamin Henrion, président de la FFII (La fondation pour une infrastructure informationnelle libre) explique justement que des lois comme Hadopi 2 vont encourager les hackers à trouver d'autres procédés pour télécharger, regarder des films ou écouter de la musique. L'objectif n'est pas tant la recherche ultime de la gratuité mais plutôt du partage, de l'accès à une connaissance, une culture pour tous.



Le débat reste encore ouvert concernant les actions et moyens de cette résistance du web. Souvent à la limite de la légalité ou illégales, ces actions ont du mal à être endiguées ou même réprimées, la loi restant encore assez floue.

Il reste néanmoins certains que toute cette subculture a émergé, devenant une culture à part entière, et dont les fruits ont porté, que ce soit au niveau informatique : Linux, Open office ou politique: the Anonymous et l'Eglise de scientologie ou le parti des pirates en Suède.


 Source - Beril Balkan :
http://tempsreel.nouvelobs.com/les-internets/20090727.OBS5575/hackers-pirates-cyberpunks-la-resistance-du-web.html